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HERAULT (34)


FRAISSE-SUR-AGOUT



MAZADES, DE COUSTORGUES, DE FLACHERAUD, DE LA MONTAUDARIE ET DE RIBIEYRALS

REALISATION D’UN PROJET EOLIEN

CONSEIL D’ETAT
N° 390134 du 6 janvier 2017
Inédit au recueil Lebon
M. Laurent Domingo, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP DELAPORTE, BRIARD, avocat(s)

Vu la procédure suivante :

L’association pour la protection des paysages du Somail-Espinouse " L’Engoulevent ", M. A... C...et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler les délibérations des 17 février et 7 avril 2011, par lesquelles le conseil municipal de Fraïsse-sur-Agoût (Hérault) a autorisé, d’une part, le maire et ses deux adjoints, à signer notamment les autorisations de travaux, les promesses de bail, les baux et, d’autre part, le maire à signer les baux emphytéotiques ainsi que tous les documents nécessaires à la réalisation d’un projet éolien. Par un jugement n° 1102992 du 19 février 2013, le tribunal a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 13MA01502 du 13 mars 2015, la cour administrative d’appel de Marseille a sursis à statuer sur la requête de l’association pour la protection des paysages du Somail-Espinouse " L’Engoulevent ", de M. C...et de M. D...jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de savoir si les quatre hameaux, anciennement dénommés mazades, de Coustorgues, de Flacheraud, de La Montaudarié et de Ribieyrals étaient, à la date des 17 février et 7 avril 2011, propriétés de la commune de Fraïsse-sur-Agoût ou de sections de commune.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 mai et 12 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société du Parc éolien du Roc de l’Ayre et la société du Parc éolien de Fontfroide demandent au Conseil d’Etat :

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

Après avoir entendu en séance publique :

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, avocat de la société du Parc éolien du Roc de l’Ayre et de la société du Parc éolien de Fontfroide et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l’association pour la protection des paysages du Somail-Espinouse, de M. C...et de M. D...;

Considérant ce qui suit :

1. La juridiction administrative est tenue de renvoyer à l’autorité judiciaire l’examen de toute difficulté sérieuse commandant l’issue d’un litige porté devant elle et résultant d’une contestation sur l’existence, le sens ou la portée d’un titre de droit privé. Toutefois, une telle question ne pouvant être posée que si elle est déterminante pour la solution du litige, la décision par laquelle une juridiction administrative sursoit à statuer sur un recours jusqu’à ce que les juridictions de l’ordre judiciaire compétentes se soient prononcées sur une question préjudicielle relative au fond du litige doit au préalable statuer sur la recevabilité des conclusions qui lui sont soumises.

2. Il ressort des termes mêmes de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel de Marseille a sursis à statuer sur le fond du litige jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de savoir si les quatre hameaux, anciennement dénommés Mazades, de Coustorgues, de Flacheraud, de La Montaudarié et de Ribieyrals étaient, à la date des 17 février et 7 avril 2011, propriétés de la commune de Fraïsse-sur-Agoût ou de sections de commune, en réservant explicitement jusqu’en fin de cause les moyens et conclusions des parties sur lesquels il n’avait pas été statué. Il résulte de ce qui a été dit au point 1 qu’en statuant ainsi ‘ sans répondre au préalable à la fin de non-recevoir soulevée par la société du Parc éolien du Roc de l’Ayre et la société du Parc éolien de Fontfroide, tirée du défaut d’intérêt pour agir des requérants, la cour a commis une erreur de droit. Dès lors, son arrêt doit être annulé.

3. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société du Parc éolien du Roc de l’Ayre et la société du Parc éolien de Fontfroide au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de ces sociétés qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

DECIDE :

Article 1er
: L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 13 mars 2015 est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Marseille.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société du Parc éolien du Roc de l’Ayre, à la société du Parc éolien de Fontfroide, à l’association pour la protection des paysages du Somail-Espinouse dénommée " L’Engoulevent ", à M. A...C..., à M. B... D... et à la commune de Fraïsse-sur-Agoût.

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UN NOUVEAU PROCES POUR UN VIEUX LITIGE

VERS UN EXEMPLE DE SAUVEGARDE DE LA MICRO DEMOCRATIE ?
Dans quelques mois, le tribunal de grande instance de Béziers va se prononcer par un mécanisme juridique peu courant, la question préjudicielle, sur la question de la propriété de bois landes pacages, appelés mazades, situés dans un petit village aux confins de l’Hérault, du Tarn et de l’Aveyron, Fraïsse sur agout. Ces structures foncières archaïques mais maintenant ultramodernes existent d’ailleurs dans tout le massif central, Cantal en particulier, à commencer par 2 communes adjacentes de Fraïsse, qui est déjà dans l’Hérault, Murat sur Vèbre, dans le Tarn, et Cambon et Salvergues, dans l’Hérault. La question préjudicielle est un mécanisme qui impose qu’une question juridique soit résolue par une autre juridiction que celle qui est saisie du litige principal, celui-ci dépendant de la solution donnée à la question dite préjudicielle.

Ce mécanisme est régulièrement à l’œuvre dans les affaires européennes, beaucoup plus rarement dans le droit français.

Dans une décision du 13 mars 2015, la Cour administrative d’appel de Marseille, a demandé que le juge judiciaire tranche la question de savoir si les quatre hameaux de Coustorgues, de Flacheraud, de la Montaudarié, et de Rivieyrals, situés sur la commune de Fraïsse , dénommés mazades, sont la propriété de la commune ou celle des sections de communes du même nom. Les sections de communes sont des entités territoriales plus petites que la commune qui possèdent en commun des biens distincts de ceux de la commune.

Ceux qui s’intéressent au droit des sections de commune ont l’habitude de voir tranchés par la juridiction administrative les différents qui les opposent soit à des personnes privées, soit à la commune gestionnaire.

Et ceci même si les contrats passés sur les biens de section relèvent de la compétence des juges judiciaires, comme ceux relatifs aux ventes du domaine privé de la section, aux rétrocessions d’un terrain sectional préempté par une SAFER, ou aux baux emphytéotiques. La location par bail à ferme depuis la loi Montagne de 1985 relève du tribunal paritaire des baux ruraux, et cela même si les décisions et les délibérations dont ces contrats procèdent restent des actes administratifs, susceptibles d’être portés devant la juridiction administrative. (CE 2 octobre 1968 Ausseil N° 640000 T déc p 166, CE 17 octobre Gaillard n° 23226 AJDA 1981 p 312)

La juridiction civile est également compétente pour connaître des voies de fait commises sur ces biens, le plus souvent les appropriations illégitimes des communes. Ce phénomène s’est accéléré dans les années 80, à cause de la disparition de nombreux ayants droit (les usagers indivis), souvent provoquée par l’appropriation par la commune de terres qu’auraient pu utiliser ces mêmes paysans, alors même que le profit tiré par la gestion de ces biens ne participait pas au développement de la section elle-même.

La juridiction administrative est restée par contre compétente pour statuer sur la définition de l’ayant droit, de l’usager, avant la loi de 1985. Après les tergiversations compréhensibles de la période révolutionnaire, la jurisprudence s’est fixée sur la double qualité d’habitant ou de propriétaire foncier sur le territoire de la section, différenciant ainsi le domicile affouagiste de l’usager d’une section de commune du domicile du code civil.

Le Conseil d’Etat dans une décision du 27 mai 1977 Ministre intérieur/ commune de Vignec DA 77 n° 205 a fini par décider que la question de la durée de l’habitation n’était pas pertinente pour définir le domicile au sens du droit sectional.

Mais, depuis, la loi Montagne de 1985 jusqu’à la loi du 27 mai 2013, une des dernières lois sur le sujet, l’ayant droit est l’habitant (CE arrêt Bouchy 27 11 96).

Les raisons du litige

Elles sont anciennes et la question de la propriété de ces landes, pâtures et bois connus sous le nom de mazades, s’est déjà posée dans le passé. Il s’est le plus souvent posé pour les personnes qui invoquaient un titre de propriété personnel, dit ut singuli.

Le différend a été ravivé par l’implantation d’éoliennes sur quatre de ces tènements qui modifient les grandioses paysages dont bénéficiaient, jusque là, les habitants des lieux.

La commune a autorisé cette implantation au profit de deux sociétés privées, rattachées à la société EDF EN France(EDF énergies nouvelles France, anciennement SIIF Energies, société internationale d’investissements financiers).

Les opposants à la signature de cet acte choisissaient à l’origine de saisir la juridiction administrative en invoquant la nullité des délibérations autorisant le maire à signer des baux emphytéotiques.

L’on aurait pu choisir de saisir directement la juridiction civile tellement la question de la propriété des mazades était prégnante.

Le motif invoqué était qu’un bail emphytéotique étant un contrat de disposition, le conseil municipal, avant de le signer, en sa qualité de gestionnaire des sections de commune, devait faire procéder à une consultation, tendant à demander leur avis aux électeurs de la section, par application de l’article L.2411-6 qui stipule, dans la version postérieure à la loi du 27 mai 2013 : " Lorsque la commission syndicale n’est pas constituée, le changement d’usage ou la vente de tout ou partie des biens de la section est décidé par le conseil municipal statuant à la majorité absolue des suffrages exprimés, après accord de la majorité des électeurs de la section convoqués par le représentant de l’Etat dans le département dans les six mois de la transmission de la délibération du conseil municipal… "

En effet, depuis la loi de 1985, si les prérogatives de la commission syndicale sont exercées par le conseil municipal pour les sections qui n’ont pas de commission, ce principe comporte des exceptions, en ce qui concerne les actes de disposition, comme le bail emphytéotique d’une section de commune. En effet pour ce qui concerne ce bail qui dépossède pour plusieurs générations les ayants droit de leurs droits d’usage sur les biens concernés, le conseil municipal ne dispose pas du pouvoir de consentir un bail emphytéotique sur le patrimoine de la section de commune. (CE 11/3/2005 AJDA 2005 1021). Le maire peut signer le contrat sous réserve d’avoir été mandaté par le conseil municipal après accord des électeurs et du conseil ou, en cas de vote négatif des électeurs, selon autorisation motivée accordée par le représentant de l’Etat.

Dès lors que la qualité de section de commune serait reconnue aux tènements appelés mazades, l’annulation des baux est inéluctable.

Sauf que la Commune de FraÏsse soutenait qu’elle était propriétaire de ces mazades et qu’il n’avait jamais existé de sections de commune sur son territoire.

Le tribunal administratif de Montpellier jugeait que " la réalité d’une section de commune résulte non pas d’une décision de l’autorité publique mais de l’existence d’un patrimoine collectif appartenant aux habitants d’une fraction de la commune ".

Et finissait par reconnaître que la commune semblait propriétaire de ces biens.

Appel était formé de cette décision et la cour d’appel de Marseille dans son arrêt du 13 mars 2015 considérant que depuis un précédent jugement rendu par le tribunal de grande instance de Béziers en 1984, les originaux d’ actes écrits de reconnaissance royale avaient été " retrouvés ", en 1997, et qu’ils étaient de nature à étayer l’existence des sections de commune ", décidait que devait être posée la question préjudicielle au juge de la propriété, qui est le juge civil.

La Cour semblait connaître le mécanisme législatif qui a transformé les collectivités d’habitants du moyen-âge en sections de commune, et le phénomène -très rare- de sections constituées par acte écrit au Moyen-âge, établi par un seigneur féodal, sections dont l'existence est connue sous l'appellation de "sections historiques "

Petit historique des sections de commune jusqu’ au lendemain de la Révolution

Un court rappel historique des biens communs des communautés d'habitants du moyen-âge jusqu'aux premières années après la Révolution est indispensable pour comprendre comment s’est effectué le passage de la propriété féodale à la propriété moderne.

Tous les historiens et les sociologues s'accordent pour reconnaître que l'appropriation des terres a commencé dès l'adoption du mode de vie sédentaire. Cette appropriation privative entraîna immédiatement l'institution d’une propriété collective de terres indispensables à la survie de la collectivité comme les pâturages et les bois.

La conquête romaine en Gaule laissa substituer les coutumes relatives aux biens appartenant aux communautés d'habitants; tout en autorisant les villes à gérer leurs biens qualifiés de biens de " municipes ", le droit romain autorisa les petites collectivités d'habitants à gérer les leurs. Le droit romain est donc considéré comme ayant fondé le droit des sections de commune.

Les invasions barbares laissèrent subsister la propriété collective des bois, des pâturages et même des terres cultivées- les terres sont dites " cultes et incultes "- mais l'insécurité allait conduire les habitants à demander la protection des seigneurs du lieu, laïcs ou ecclésiastiques. Cette protection allait entraîner une véritable expropriation de la communauté des habitants. Devenu propriétaire des terres, le seigneur n'eut cependant bien vite d'autre alternative que de les concéder à des collectivités travaillant en commun en leur accordant des bénéfices ou des avantages collectifs.

Ainsi dès le XIIème siècle, les biens possédés par les collectivités d'habitants, hameaux, bourgs, paroisses - la Commune n'a été créé qu'après la Révolution - avaient des origines diverses :

Mais elles avaient pour but de " Chercher ... en même temps que la sécurité, les ressources nécessaires pour l'exploitation des terres " Auroc in " Des sections de commune et des biens communaux "

Entre le XVème et le XVIème siècle, on assista aux tentatives des seigneurs féodaux de reprendre les terres concédées; c'est alors que ces collectivités trouvèrent un appui auprès du Roi et plus particulièrement auprès du Roi Henri IV qui en 1560 institue une action dite " en regret" autorisant ces petites collectivités- ancêtres des sections de commune - à revendiquer la propriété du tiers de leurs terres que les seigneurs s'étaient attribuées en vertu d'un "droit de triage" qu'ils avaient eux-mêmes instaurés.

Dans la même veine, il faut rappeler la déclaration antérieure de Charles IX qui le 27 avril 1567 stipule

" Tous ceux des habitants de chaque paroisse et communautés seront tenus de remettre et rétablir les plans vagues et pâturages en l'état qu'ils étaient avant l'édit de 1566, avec défense à toutes personnes de se les approprier et s'en mettre en possession au préjudice des sujets du Roi et des communautés."

Les rois de France ont donc dès 1550 protégé les petites collectivités d’habitants regroupés dans les régions les plus pauvres autour de leurs hameaux.

L'histoire – très succincte- des biens communs des ces collectivités permet de comprendre le droit moderne des sections de communes, nées au Moyen-âge, alors même que n'existaient pas encore les communes.

La communauté des habitants réunis autour des hameaux, divers en superficie, va conserver la propriété de ces biens, les gérant en commun, jusqu’à la Révolution. C’est l’une des premières lois votée après la Révolution qui va instituer cette communauté en qualité de propriétaire.

C’est en effet le décret des 18-29 décembre 1790 qui confirme la propriété des anciennes collectivités d’habitants d’avant la Révolution ; ce texte, même s’il ne le dit pas expressément, permet le rachat des rentes de toute nature, et comme les rentes seigneuriales sont supprimées, la propriété foncière est dévolue au preneur s’il est ut singuli, aux preneurs collectivement s’ils sont ut universi.

Ce n’est que trois ans plus tard, le 10 juin 1793, que la loi ordonne le partage des biens communaux entre les communes et les sections de commune. Or ce jour-là, les sections de commune qui détenaient un acte écrit - phénomène assez rare - étaient déjà propriétaires en vertu du décret des 18-29 décembre 1790 des biens qu’elles tenaient des contrats d’emphytéose, ou de contrats à cens, au profit des collectivités d’habitants du moyen-âge.

Et comme la section de commune se définit comme " Tout ou partie d’une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune ", force est de constater qu’elle était bel et bien propriétaire à titre permanent et exclusif de biens, avant que ne soit ordonné le partage " des biens vagues, gastes et hermes " entre elle et la commune.

C’est ce mécanisme législatif qui explique l’existence des sections de commune. Si elles n’avaient pas été reconnues propriétaires des biens détenus depuis le moyen-âge antérieurement à la grande loi sur le partage des biens communaux, les biens qu’elles tenaient des seigneurs féodaux depuis le haut moyen-âge auraient été dévolus aux communes.

Ces entités définies comme sections de commune ont dès 1793 été connues et cadastrées sous le nom de différents hameaux, sous la formule consacrée dans toute la France de " Habitants du hameau de tel lieu-dit " ou " Hameau de tel lieu-dit ". Cette formule à elle seule signe une propriété collective des habitants d’un lieu-dit, d un hameau et non d’une commune.

La grande majorité des sections de commune en France se sont formées par la tradition, par la détention et par l’usage de biens, alors que les sections de commune de Fraïsse ont l'insigne privilège d'être de celles que les historiens et les juristes qualifient de sections "historiques" pour avoir été instituées par titre, au début du Moyen-âge.

C'est d'ailleurs en partie ce titre qui a conduit les juges de la cour administrative, à inviter les demandeurs à la nullité du bail emphytéotique à saisir le juge de la propriété.

Le Tribunal de grande instance va devoir percevoir l’importance de ce litige qui est au cœur du " berceau de la démocratie micro- territoriale ", comme l’écrit Madame Hélène Leylavergne dans la revue de droit rural Mars 2000 p 139.

Aussi paradoxal que cela puisse paraitre le débat à première vue archaïque présente les caractères de la plus grande modernité puisque le droit français applicable aux sections de communes semble pouvoir servir de modèle du droit applicable aux futurs biens communs de l’Europe et de l’humanité

Les sections de commune, parties de la commune de Fraïsse, et leur propriété.

Les tènements concernés

La question préjudicielle concerne uniquement 4 hameaux anciennement appelés mazades – parmi les dix sept que compte la commune- le hameau de Coustorgues, le hameau de Flacheraud, le hameau de la Montaudarié, et celui de Rivieyrals, cadastrés à titre leur nom de l’époque napoléonienne à 1977.

Le 18 août 1977, le maire a inscrit ces tènements au cadastre au nom de la commune

Déjà, le compoix de 1778, préfiguration du cadastre moderne, fait état de l’affectation d’une partie de mazade à chacun des propriétaires- usagers- comme s’ils en étaient en quelque sorte propriétaires indivis. Nulle part n’apparaît évidement le nom de la commune, qui n’existait pas encore à l’époque.

L’on a là un des exemples remarquables du mépris relativement récent dans lequel les communes tiennent les sections de commune. Il y a d’autres exemples en France de ce procédé, mais l’appropriation de plus de 2.000 ha de bois landes et pacages en un seul acte pourrait être un fait unique. C’est pourtant une seule question de liberté.

LA PROPRIETE DES SECTIONS DE COMMUNE DE FRAÏSSE

Après la loi des 17-29 décembre 1790 qui a autorise le rachat des rentes seigneuriales, rentes elles-mêmes abolies, les cocontractants, titulaires de contrats emphytéotiques ou à cens consentis par des seigneurs féodaux sont devenus propriétaires, soit de façon individuelle soit collective.

La propriété est née d’une obligation contractuelle à l’origine, déjà perpétuelle, mais rénovée par la loi.

De la Révolution aux années 70, jamais la commune n’a revendiqué la propriété des mazades.

Ce n’est qu’en 1974, que sous l’égide de son maire, Paul Bacou, la commune s’est déclarée propriétaire au motif qu’il n’aurait jamais existé de sections sur la commune de Fraïsse, et qu’elle représenterait en conséquence tous les tenanciers des contrats féodaux, les " habitants " , la " généralité des habitants " de toutes les mazades situées sur son territoire.

Elle soutient que les termes des actes de 1609 lui permettent de revendiquer la propriété des biens concédés aux tenanciers portés à l’acte dont elle serait le successeur. L’héritière en quelque sorte des emphytéotes dont les noms sont indiqués dans l’acte de 1609, du moins pour ceux qui sont ut universi.

Mais le jugement de 1984 fait état- parmi d’autres éléments- de ce que la commune a payé les impôts des terres en question depuis plus de 30 ans ce qui laisserait à penser que la notion de prescription aurait pu effleurer le tribunal.

LE TITRE DE 1609

L’original de l’acte de 1609 – ou plutôt des actes- a été retrouvé après qu’ait été rendu le jugement de 1984.

Ce document a fait l’objet d’une transcription en français moderne et d’une étude de l’archiviste en chef du département de l’Hérault, Jean Le Pottier.

Les actes écrits, emportant emphytéose de biens seigneuriaux sont peu nombreux ; les quelques rares qui ont été retrouvés émanent de seigneurs ecclésiastiques, la plupart du temps ils ont été retrouvés dans des abbayes

Les contrats de mise à disposition établis au moyen-âge –le plus souvent d’emphytéose- dont l’écrit n’a pas été retrouvé se sont révélés beaucoup plus nombreux que ceux qui ont été retrouvés, chacun ayant conduit à la création d’une section de commune si le contrat était ut universi au profit d’une collectivité de tenanciers et d’habitants de hameaux.

Les ayants droit des sections soutiennent qu’il s’agit de la reconnaissance par le Roi de l’existence des actes fondateurs datant du haut moyen-âge des communautés de paysans groupés autour de leurs différents hameaux qui sont devenues, après la Révolution, des sections de commune, appelées Mazades. Ces collectivités de tenanciers possèdent en commun des terres qui ont été concédées au moyen-âge en vertu de contrats de nature variée, soit du vieux contrat d’accapte issu du droit romain, le plus souvent du contrat d’emphytéose perpétuelle. Ils fondent leur analyse, au-delà de celle qui a été depuis toujours celle de la doctrine sur les mazades du Haut Languedoc, et plus généralement sur les sections de commune, sur une étude juridique réalisée par le Professeur de droit à l’université de Montpellier, Henri Vidal.

Cette consultation remarquable a été commandée en 1972, par la Direction départementale de l’agriculture, et précisément par l’ingénieur général du génie rural et des Eaux et Forêts de la région Languedoc Roussillon, à une époque où la commune commençait à revendiquer les biens des mazades et où l’administration voyait d’un très bon œil leur reboisement.

On ignore si cette étude a été produite dans le procès commencé le 19 février 1977 sur assignation du groupement forestier du domaine des Sieyres société civile contre la Commune de Fraïsse a donné lieu au jugement du 27 novembre 1984.

Dans le procès de 1984, il semblerait que la consultation n’ait pas été produite.

Sans doute bien sur, en raison du fait que la démonstration d’Henri Vidal n’était pas plus pertinente pour les sociétés qui soutenaient être propriétaires ut singuli, que pour la commune qui soutenait être propriétaire pour représenter les " habitants " à qui auraient été concédé ut universi les biens des mazades depuis le Moyen-âge.

En effet, le professeur agrégé de droit, Henri Vidal concluait formellement que pas plus les sociétés civiles forestières que la commune n’étaient le propriétaire des terres des mazades du moins pour les mazades issues d’un contrat ut universi.

Après une analyse de 36 pages, la conclusion d’Henri Vidal est formelle : les mazades ut universi de Fraïsse sont constituées de biens appartenant à des sections de commune.

Il explique que l’acte de 1609 est une reconnaissance de plusieurs contrats d’emphytéose passés entre le Roi en sa qualité de seigneur de Cessenon et non en sa qualité de suzerain qui lui conférait un droit éminent sur toutes les terres de son royaume. Mais les mazades, biens fonciers constitués de terres " cultes et incultes ", de landes et de bois dépendaient de la seigneurie de Cessenon dont le Roi était le seigneur, sans doute pour en avoir hérité. Les cocontractants sont les paysans vivant sur les lieux ou a proximité, et il existe certains contrats avec un seul et unique cocontractant, auquel cas le contrat est qualifié d’ut singuli, d’autres avec plusieurs personnes, et la qualification devient alors ut universi. Les cocontractants s’engagent alors devant les envoyés du Roi pour eux-mêmes et pour d’autres, les fameux habitants du hameau.

L’emphytéose au XIIIème siècle a emprunté à l’accapte, vieux contrat du droit romain, son caractère perpétuel de la mise à disposition. Le cens a alors été remplacé par un loyer.

Les mazades sont peut-être passées en diverses mains seigneuriales, en 1317, 1410, 1494 et enfin peu avant 1609, le domaine de Cessenon est passé dans le domaine du Roi de France. Ces diverses mutations entre seigneurs pourraient expliquer les dates de diverses reconnaissances dont fait état la reconnaissance royale de 1609.

L’on considère que deux ou trois reconnaissances sont nécessaires pour engager les preneurs au paiement de la redevance. On est alors en présence d’une reconnaissance qualifiée de in forma communi : il n’est pas nécessaire qu’elle reproduise la teneur des actes initiaux mais si elle y fait référence, leur authenticité est incontestable et le tenancier est engagé.

Tel est le cas de la reconnaissance faite par les représentants au service du Roi Henri IV un an avant son assassinat.

Les différentes mazades concernées font l’objet d’une reconnaissance et elles présentent le caractère ut universi, ce qui veut dire que les biens objets de l’emphytéose ont été donnés à une communauté d’hommes qui se sont engagés chacun pour eux-mêmes et pour " les siens à venir " c'est-à-dire leurs successeurs qu’il faut distinguer de leurs héritiers personnels, à perpétuité.

Il s’agissait parfois de personnes qui vivaient dans le ressort de la mazade, parfois en dehors, mais en tout cas, l’engagement était perpétuel et le droit à user des biens de la mazade présentait bien ce caractère perpétuel des contrats d’emphytéose. Le ou les tenanciers avaient la liberté d’user du bien, sauf " dépopulation " dans la forêt de Bureau, et ils devaient seulement payer la redevance.

On était donc en présence d’un démembrement de la propriété entre une sorte de nu-propriétaire, le seigneur et un tenancier qui devait seulement payer la redevance au nu-propriétaire et qui devenait pour lui-même et pour les siens à venir, usager, locataire, des terres à perpétuité

Ce droit d’usage est évidemment aujourd’hui gouverné par les règles propres aux sections de commune - qui connaissent cette propriété collective et indivise sans pouvoir être jamais partagée - et plus particulièrement par les règles du bail rural issues de loi Montagne de 1985. Elles sont sans intérêt dans le cadre de la procédure tenant exclusivement à la propriété.

Le nombre des mazades institués par la reconnaissance royale est, après correction, de 26. Aujourd’hui il n’en reste plus que 17 à titre ut communi, cela veut dire que l’acte de 1609 comportait 9 actes ut singuli ou que certaines mazades ut universi ont été regroupées.

L’énumération des biens concernés comprend le plus souvent des champs, des terres " cultes et incultes " des bois et des landes. Les mazades sont parfaitement identifiées et leur superficie n’a varié dans le temps qu’après que le cadastre sans doute à l’origine s’il s’avérait que des mazades ont été regroupées, soit après que la commune ait entrepris de se les approprier dans les années 1974.

Le régime des mazades va rester inchangé du XIIIème siècle à la Révolution qui va le bouleverser par l’abolition du régime féodal.

Comme cela a déjà été expliqué dans l’historique, le décret des 18-29 décembre 1790 en son article 1 l’abolit implicitement et la propriété foncière est dévolue au preneur s’il est ut singuli, aux preneurs collectivement s’ils sont ut universi.

Le ou les tenanciers deviennent ainsi les seuls et uniques propriétaires des biens autrefois soumis au droit féodal qui ne sont plus démembrés.

La Cour de cassation dans un arrêt du 15 décembre 1824 cassant une décision de la Cour d’appel de Colmar le confirme, en disant :

" Vu l’article du décret du 29 décembre 1790, considérant … que l’article 1 du dit décret prononce la nullité des contrats emphytéotiques contenant des stipulations de rentes perpétuelles ; que cet article se borne, au contraire, à défendre pour l’avenir de pareilles stipulations, décide que le preneur devient seul propriétaire et reste redevable de la rente primitivement stipulée qui du reste, devenait rachetable. " Huggot-Levieux/ dame Schauenbourg Dalloz Jurisprudence Répertoire de législation Tome 30 - 1853 verso bail emphytéotique, p 579-595 Arrêt cité par le Professeur Vidal

A partir de là, la revendication des mazades par l’Etat était concevable puisque les reconnaissances avaient été faites par le Roi à partir de son domaine de Cessenon mais l’inspecteur des Forêts et le directeur des domaines en 1845 ont conclu que les droits de l’Etat étaient définitivement éteints.

La Commune suivant Henri Vidal ne peut être considérée comme propriétaire d’abord dit il parce que par diverses " délibérations répétées ", concordantes et motivées, pendant tout le 19ème siècle, et encore au début du 20ème, elle a contesté être devenue propriétaire et a dit et redit que les mazades étaient des propriétés privées.

Mais encore par application de la loi du 10 juin 1793 qui décide que " Tous les biens " connus dans toute la République sous les divers noms de terres vaines et vagues, gastes, garrigues, landes, pacages, pâtis, ajoncs, bruyères, bois communs, hermes, vacants, palus, marais, marécage, montagne, et sous toute autre dénomination quelconque, sont et appartiennent de leur nature à la généralité des habitants ou membres des communes, ou des sections des communes, dans le territoire desquelles ces communaux sont situés, et que, comme telles, les dites communes ou sections de commune, sont fondées et autorisées à les revendiquer… "

Ce texte vise bien deux types de biens qualifiés de " communaux ", ceux qui appartiennent à la généralité des habitants ou aux membres de communes. Il s’agit bien de deux entités différentes, et le texte poursuit en indiquant que la propriété peut être celle des sections de commune, par opposition à la Commune elle-même. Le concept de " généralité des habitants " s’applique ainsi par l’effet de la loi, aux deux entités territoriales, la commune et la section de commune.

L’entité territoriale qui devient ainsi propriétaire est celle qui bénéficie d’une antériorité par rapport à l’autre. Manifestement, le droit de la " généralité des habitants des sections " -de toutes les sections de commune de France- est antérieur à celui de la généralité des habitants des communes, qui ne sont crées qu’après la Révolution.

Les habitants des hameaux de Fraïsse, petites parties de ce qui allait devenir la commune de Fraïsse sont donc devenus collectivement propriétaires des terres détenues auparavant à titre ut universi dès les 17-29 décembre 1790, ce qui leur a permis d’être définis comme possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune et de se voir ainsi autorisées à participer au partage entre sections de commune et commune de la loi de 1793.

Henri Vidal écrit en conclusion " Ainsi, dans le texte et l’esprit de cette loi, le droit de propriété de la commune et le droit de jouissance des habitants n’abolissaient pas le droit exclusif et antérieur dont pouvaient jouir des groupes plus restreints. La commune s’efface alors devant la section de commune. "

Et de conclure que " si l’on admet que les mazades appartiennent à une collectivité publique, elles constituent nécessairement des sections de commune ".

La conclusion est donc la suivante : au Moyen-âge, l’habitant en tant que tel n’avait aucun droit sur la mazade. Ia condition suffisante et nécessaire pour avoir un droit sur la mazade toute entière, était d’être emphytéote, titulaire seul ou avec d’autres d’un contrat d’emphytéose.

Après 1789, l’emphytéote – le tenancier qu’il soit unique ou qu’ils soient plusieurs- est donc devenu propriétaire. Cet argument à lui seul, selon le professeur VIDAL, est suffisant pour conclure que toutes les mazades de FRAÏSSE – celles qui sont ut universi- ne peuvent qu’être des sections de commune.

Les droits concédés à titre ut universi aux habitants et bien tenants (ou tenanciers) – qui ne sont pas par définition les habitants de la totalité de la commune qui n’existait pas lors de la signature du contrat- se sont transformés en droits sur des biens tenus collectivement par une collectivité d’habitants qui en a été reconnue propriétaires en 1790, trois ans avant que ne soit ordonné le partage des biens communaux, au profit de deux entités territoriales, la commune et la section de commune.

La commune au vu d’un " préliminaire sur l’historique des terrains anciennement de mazades " et d’une analyse juridique dont le caractère principal est d’être tronqué, a considéré que les mazades étaient en application de cette même loi du 10 juin 1793 devenues… la propriété de la commune.

Sauf que, la citation de la loi, dans le compte rendu du conseil municipal, a été tronquée. En effet le membre de phrase " sections de commune " a été supprimé sans aucun doute volontairement.

Le conseil municipal a ainsi pu penser que la commune était en application de cette loi sans ambiguïté devenue propriétaire des biens des mazades, comme sans doute les autorités administratives qui n’avaient pas en 1974 conservé en mémoire le détail des lois révolutionnaires.

Or ce grand texte qui constitue la base du partage des biens féodaux, des biens entre sections de commune et communes faisait bien référence aux sections de commune ; si tel n’avait pas été le cas, les sections de commune auraient –toutes- purement et simplement disparues du paysage juridique français, suivant le même raisonnement que celui tenu par la commune de Fraïsse.

Le fait que ces sections de commune existent encore et que même si leur chiffre exact reste inconnu, elles soient aux environ de 40 000, démontre que toutes les communes n’ont pas tronqué la loi comme à Fraïsse.

Et mieux, l’on sait que 90 % environ de ces sections de commune existaient – sans titre pour l’énorme majorité- depuis le haut Moyen-âge et qu’elles ont survécu dans le paysage moderne grâce à la double qualification des biens communaux de la loi de 1793, faute de quoi, si les communes étaient devenues seules propriétaires de ces tènements, il n’en existerait plus aucune.

Ainsi, par la combinaison des lois de 1790 et de 1793, les sections de commune situées sur la commune de Fraïsse et en particulier celles qui sont propriétaires des anciens tènements cadastrés jusqu’en 1977 sous les différents numéros dont les propriétaires étaient indiqués sous l’appellation " Hameau de tel lieu-dit "

Il faut encore ajouter que si les collectivités d’habitants du territoire de la commune de Fraïsse avaient cru leur patrimoine en danger, elles auraient pu invoquer la loi des 28 août-14 septembre 1792 qui permettait aux communautés qui pourraient justifier avoir anciennement possédé des biens d’usage quelconques de revendiquer leur propriété, celle des " terres vaines et vagues ou gastes, landes, biens hermes, qui ont été habités ou pu l’être, tels que déserts, lieux solitaires… ".

Mais elles ne se sont trouvées en danger qu’en 1974