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Les communaux de la Vallée d'Ossès du XVIII siècle à nos joursAvec l'accord de l'auteur - J.-B. ORPUSTAN Agrégé de l’Université de Nice
Partons d'une définition, celle de Littré : " 2° : substantif, masculin. Un communal, et, plus souvent au pluriel, les communaux, terre dont l'usage est commun aux habitants d'une commune ou de plusieurs communes. Vache paissant dans le communal. " Ce terme archaïque ne s'emploie guère hors du langage des campagnes : on préfère parler des terrains communaux. Il est pourtant revenu à l'ordre du jour en certains endroits, notamment au Pays basque, non plus seulement dans la bouche des paysans, mais dans les rapports de l'Administration : ce fut précisément le cas à Ossès.Il nous a semblé utile de rassembler sur ce sujet quelques éléments historiques, pour tâcher de ressusciter et de comprendre à travers les coutumes anciennes, l'esprit des communautés d'autrefois. Car ces conceptions séculaires sont, qu'on le veuille ou non, partie intégrante de la mentalité d'aujourd'hui ; il n'est même pas à exclure que nous y trouvions des modèles et des exemples à méditer et parfois à suivre.LE XVIIIéme SIÈCLE
Jusqu'à la Révolution, la vallée d'Ossès, ou encore le pays d'Ossès (1) englobant les actuelles communes de Bidarray, Saint-Martin-d'Arrossa et Ossès, avait conservé les statuts, avantageux à plus d'un titre sous la Monarchie d'Ancien Régime, d'une juridiction navarraise, jouissant d'une grande autonomie de gestion. Ces droits s'étaient maintenus à peu près intacts depuis le Moyen Age, malgré les changements de couronne et la décadence de l'Etat, démembré au XVIe siècle, dans toute la province dite de Basse-Navarre.(2)Les maîtres des maisons d'Ossès formaient la Cour Générale, que les documents nomment aussi parfois la Cour Royale. Chaque année, à la Trinité, soixante-cinq d'entre eux désignaient les Jurats (3)chargés de les représenter et de diriger les affaires de la Vallée. La Cour elle-même était souvent appelée à régler de nombreux litiges soit avec l'extérieur, soit à l'intérieur de la communauté. L'esprit d'autonomie avait donc pu se maintenir, et il continuait encore à se manifester, non sans pittoresque parfois, sous la Monarchie absolue des Bourbons. Non sans dignité aussi : un document de 1743, que nous citerons plus loin, n'hésite pas à attribuer aux Jurats, modestes paysans ne sachant ni lire ni écrire, ni sans doute parler correctement le français pour la plupart, le titre de " Juges royaux, civils et politiques du Pays d'Ossès ".La gestion des terrains communaux, qui occupaient une grande part du territoire, incombait naturellement à la Cour. Ils étaient la propriété indivise des habitants — et sans doute, à l'origine des anciennes maisons. C'est donc la Cour, organe qui exprimait la volonté des habitants, qui en disposait.Dans certains textes, il est dit que ces terres sont constituées de " tauzins et fougeraies ". Indication suffisante quant à leur usage et leur mode d'exploitation. " Exploiter " un communal représente pour l'usager la possibilité de couper la fougère, qui sert de litière au bétail, et le bois des tauzins (4) pour le chauffage et la construction. A ces productions, il faut joindre le pacage. Les troupeaux, en liberté durant une partie de l'année, se déplaçaient à travers ces communaux, mais aussi à travers tous les terrains non clos : c'est le droit de libre parcours ou de vaine pâture, dont on ne sait d'ailleurs s'il est la conséquence de la non-clôture des terres, ou sa cause. L'usage qui interdit la clôture est l'unique restriction, mais essentielle, à la liberté d'exploiter. Il faut reconnaître que, dans ce cas, la tradition et l'usage s'accommodaient fort bien de la nécessité : l'emplacement de la plupart des communaux dans des zones d'altitude parfois écartées, leur éloignement des lieux d'habitation joint au mauvais état des chemins, en rendaient la culture proprement dite peu commode. Ajoutons que les maisons possédaient presque toujours des landes du même type, non cultivées, et qui, faute de moyens ou pour raison d'éloignement, sont loin d'être encore défrichées et par conséquent exploitées dans leur totalité.Il arrivait pourtant que la mise en culture des communaux devînt nécessaire. Une requête, adressée à la Cour Générale par un maître d'une maison du quartier de Horça en 1743, nous permettra de saisir en la matière l'usage ancien et ses aléas. " Don Joan d'E... ",(5) voyant sans doute sa famille s'agrandir, voulut étendre la surface de ses terres cultivées.Le texte qui relate ses démêlés précise dès le début que " l'usage observé depuis tout tems (sic) dans le lieu et dans les autres quartiers de ladite valée (sic) d'Ossez est, qu'a mesure que les familles se multiplient il est permis d'extirper dans les communaux, qui sont immenses, un nombre d'arpens de terre pour les mettre en état de produire des fruits pour la subsistance des familles ".Voilà donc l'usage ancien ; les communaux appartiennent à la communauté des habitants, mais non point à l'organe administratif qui les gère ; ils n'ont pas d'autre raison d'être que d'aider à la survie et au développement des particuliers, qui peuvent s'en rendre propriétaires. Leur destination est d'être à ceux d'entre eux qui se voient dans la nécessité de les cultiver. Cet usage, nous l'appellerons le " droit d'extirper ". On doit se rappeler que, très probablement, c'est grâce à une telle tradition que les cadets de la vallée, devenus trop nombreux avaient pu, au siècle précédent, fonder le quartier de Bidarray. Elle est d'ailleurs attestée dans les époques antérieures ; des lettres-patentes d'Henri III de Navarre permettent aux habitants d'Ossès de construire sur les terrains non boisés et de les cultiver.Cet usage était-il tombé en désuétude ? Les tentatives de ce chef de famille entreprenant et bien au fait de la tradition ancienne se heurtent immédiatement aux réactions de quelques voisins. " II extirpa, poursuit la requête, au mois d'Aoust 1743, trois quarts d'arpens de terre, ou environ sans que la communauté le trouvât mauvais. " Ce n'est donc ni de la Cour, ni des Jurats, délibérant à la majorité, qu'avait pu venir l'opposition à son entreprise. Il n'en alla pas de même de Domingo de M..., du quartier d'Ahaice, et de quelques autres, qui " par un esprit de passion et de jalousie furent les seuls qui en firent matière de plainte ". L'affaire est alors portée devant les Jurats.Il s'ensuit des " exploits " ou sommations faites à Joan d'E au mépris du droit ancien ; leur efficacité prouve du moins que ses adversaires, qui paraissent eux-mêmes peu intéressés par ce terrain du nom d' " Arroquimendy ",(6) avaient assez de puissance pour se faire entendre de la Cour. Il est vrai que l'un d'entre eux au moins est maître de l'une des soixante-cinq anciennes maisons. Un paragraphe de la requête, qui résume l'affaire, dit que l'un des exploits " en fut fait le 27 du mois d'aoust aux suppliants (7) parlant à Joannes D..., mais point d'affiche à la porte de la maison des suppliants, et point de témoin audit exploit ". Ces intéressantes précisions sur la procédure de l'exploit en pays d'Ossès signifient que cette sommation, non conforme aux usages, était entachée d'irrégularité et peut-être de nullité, Joan d'E. continua donc son travail.Peut-être les adversaires ne se sentaient-ils pas assez sûrs de leur bon droit pour s'adresser franchement à lui-même. On les verra aussi revenir sur leur plainte initiale et en dessaisir les Jurats.Après de multiples péripéties, dues aux initiatives tant des " suppliants " que de leurs adversaires, l'affaire avait pris un tour défavorable à Joan d'E., accusé de manquer de respect envers les Jurats. Il est obligé, en novembre de quitter le terrain qu'il était en train d'ensemencer. Le document qui relate ces faits signale les multiples " renvois à l'audience " devant la Cour, et les précautions prises par celle-ci. Mais il est incomplet, et nous ne savons pas quel fut, en définitive, le sort réservé à cette requête. Il nous suffit de comprendre qu'à cette date il restait encore, dans l'esprit des habitants, quelques vestiges de leurs coutumes ancestrales, et que les communaux, en principe propriétés indivises des habitants, étaient de ce fait l'occasion de rivalités et de tensions à l'intérieur de la communauté. La Cour, ne pouvant être sourde aux plaintes et revendications de quiconque, s'y révèle soucieuse de modérer les rivalités. Quant à Joan d'E il s'exprime fort bien en affirmant que le droit d'extirper est utile " non seulement pour les familles particulières qui ne profitaient mais encore pour l'intérest publicq... "En 1769, la Cour Générale prit une décision irrévocable, qui allait éviter toute répétition de pareils incidents et supprimer une cause de dissensions trop vives et peut-être dangereuses au sein de la communauté. Dans une délibération datée du 13 mars, et qui avait été préparée à l'avance par les discussions habituelles, les communaux furent partagés entre les quartiers ou hameaux à l'exclusion de Bidarray. L'acte fut enregistré le 26 du même mois. Dictée par un souci de bien-être à l'égard de tous les habitants, et peut-être aussi par les premiers signes de décadence et de dépopulation, cette décision était celle qu'on pouvait attendre de l'esprit démocratique des Basques navarrais du siècle des lumières, que les contemporains n'ignoraient pas, comme l'attestera le (8) discours de Carnot devant la Constituante en 1792,"A partir de ce jour les communaux ne cessent pas encore tout à fait d'être des communaux, puisqu'ils deviennent la propriété du groupe d'habitants composant le quartier, mais la Vallée d'Ossès, en même temps que représentante du pouvoir de la communauté dans son ensemble, cesse désormais, et irréversiblement sauf nouvel acte juridique, d'en être la propriétaire et la gérante. Ainsi sont répartis 1,200 hectares de terre environ (cf. le document annexe n°1).Il y avait cependant une difficulté : qui représenterait à l'échelon du quartier la volonté des habitants, comme la Cour le faisait à l'égard de toute la communauté ? Les terres ne pouvaient pas rester indivises au nom des quartiers. Aussi les communaux des quartiers furent-ils immédiatement répartis une nouvelle fois, entre les maisons, ou, pour parler le langage de l'époque, entre les feux. Ce partage extrêmement précis est resté inchangé depuis lors : chaque propriétaire sait encore aujourd’hui, et malgré les ventes et changements de main intervenus, l’emplacement et l’étendue de ces nouvelles terres. (Cf. le document annexe n°2) ;° Mais, de ce fait, elles avaient perdu tout caractère " communal ". Les quartiers n’estimèrent pas qu’il y avait lieu de passer un acte officiel pour constater ce partage, que le cadastre communal a pourtant conservé : il ne semble pas, en tout cas, qu’il ait été fait devant notaire puis enregistré. Cette imprévoyance, ou cette erreur, allait compliquer la gestion des ex-" communaux ". Il faut croire que les habitants d’Ossès ne pensaient pas qu’un jour prochain, leur organisation communautaire disparaîtrait sans laisser de traces.Il y eut une exception : elle vint du quartier d’Exave, qui forme aujourd’hui à peu près la moitié de la commune de Saint-Martin d’Arrossa. Les habitants de ce quartier, plus entreprenants ou plus prudents, firent constater la répartition par feux dans un acte notarié, (9) du 6 janvier 1770, qui fut reçu par le Parlement de Pau le 25 juin de l’année suivante. Ils conservèrent désormais ces terres en pleine propriété. Et pourtant, cette décision émanait des seuls habitants d’Exave : ce n’était pas davantage qu’un simple constat.Bien entendu, nul ne se sentira plus contraint aux servitudes du libre parcours des troupeaux, et les anciens communaux pourront être clôturés.Dans les six autres quartiers, les habitants ne pourront jamais rattraper le retard ainsi pris sur Exave. Les impôts qu’ils auront à payer plus tard sur leurs " communaux ", seront calculés et versés à part des autres impositions sur leurs domaines. Les terres restent soumises à l’usage du libre parcours, et nul n’osera les clôturer, bien que la fougères et le bois continuent à en être exploités par chaque maison. Telle est la situation que transmet l’ancien régime, et que l’Administration ne parviendra plus à modifier, malgré les tentatives répétées des habitants.1. En espagnol on disait : " tierra de Ossès ". Ý2. Etat minuscule qui permettait à Henri IV et ses successeurs de se Parer du double titre de " Roi de France et de Navarre ". Ý3. Un jurat par quartier. Mais l'usage au XVIIIme siècle, et sans doute bien avant, était d'élire un second jurat pour l'un des quartiers, à tour de rôle. En 1772 ce quartier est Iriberry (voir document n° 1). Ý4. Le chêne tauzin, variété de chêne de dimensions modestes, est l'une des essences végétales qui caractérisent les landes du Pays Basque, basque , " ametza ", terme sur lequel se sont formés d'innombrables toponymes du type " Amestoy " Ý5. Ce titre, surprenant pour un personnage non noble au sens habituel du terme, est une curieuse persistance de l'usage espagnol, plus d'un siècle après l'introduction du français. Ý6. Il est regrettable que le renouvellement du cadastre qui vient de s'achever fasse disparaître des plans les innombrables noms de lieu, toujours pittoresques, quelquefois précieux pour l'histoire et tellement plus chargés de vie humaine que les chiffres qui les remplacent. Ý7. C'est ainsi que l'ancienne langue nomme ceux qui font appel devant la Cour en lui adressant une requête. Ý8 Carnot y fait l'éloge du peuple basque en des termes ou l’on reconnaît aisément la pensée des philosophes, en particulier de J.J.ROUSSEAU : "il ne connaissait ni privilèges, ni seigneurs, ni droits féodaux ; isolé par son langage particulier autant que par le site de son territoire, il a conservé le type de la nature… " Ý9 un acte fut également établi à Horça, qui se trouve aux archives municipales. Mais il ne fut probablement pas enregistré. (Voir le document n°2) ÝLE XIXéme SIÈCLE
Au cours du siècle suivant, des difficultés apparemment insurmontables vont se lever devant la commune, désireuse de régler la question au meilleur profit de tous. Elles se comprennent mieux si l'on se rend compte que le Pays d'Ossès, comme les autres terres de Basse-Navarre, et quelques autres provinces de la même époque, perd avec la Révolution, et sans regret immédiat semble-t-il, son autonomie et son esprit communautaire. C'est l'ère de l'Administration centrale, uniforme dans toute l'étendue de la " République une et indivisible ". A leur retour en 1815, les Bourbons, le temps d'une courte Restauration, reprendront bien le titre légué par Henri IV, celui de " Roi de France et de Navarre " ; mais ce dernier nom n'est plus qu'un ornement vide de toute réalité. La minuscule Basse-Navarre, seul reste de la nation pyrénéenne annexée par Ferdinand le Catholique, ne retrouve aucune réalité juridique ou politique. Que les révolutionnaires, très conscients de l'originalité des institutions basques, leur aient rendu hommage n'y a rien changé.D'autres efforts de centralisation avaient préparé ce dernier acte. (10) Mais la suppression du régime juridique et politique de la Basse-Navarre fut un pas déterminant vers la perte de la conscience basque dans cette région. A titre de comparaison, on peut rappeler que malgré l'annexion de 1512, la Navarre espagnole et les autres provinces basques du Sud ont gardé une bonne part de leurs " fors " ou institutions jusqu'à la fin des guerres carlistes, et qu'en plein régime franquiste, la Navarre a conservé, entre autres avantages, une très large autonomie fiscale.A l'intérieur même de la Cour Générale d'Ossès et dans son fonctionnement, on peut supposer que tout ne devait plus aller au mieux, à la fin du règne de Louis XVI. Depuis plus d'un demi-siècle, le quartier de Bidarray, qui s'était rapidement développé, devait se sentir " sous-représenté " à la Cour ; il avait demandé à se séparer de la Vallée; son éloignement du quartier central de Horça et la difficulté des communications par les gorges de la Nive devaient aussi l'y inciter. (11)La séparation totale se fait à la Révolution : Bidarray devient une commune. Les communaux restés indivis continueront à faire le lien, non sans soulever parfois quelques difficultés entre les nouvelles communes. La commune d'Ossès se compose des six hameaux restants ; il ne sera plus question officiellement, ni de la " Vallée ", ni du " Pays " d'Ossès.Enfin, l'état d'esprit s'était considérablement modifié, tributaire des changements humains et économiques : pouvait-on encore prendre au sérieux cette archaïque communauté de paysans, alors que sur le territoire même d'Ossès naissent les nouvelles féodalités — les premières ici — du commerce et de l'argent ? Dès le XVIIe siècle, les maîtres des anciennes maisons se trouvaient dans des situations très inégales les uns par rapport aux autres. (12) Pouvaient-ils continuer à peser également dans les débats et décisions de la Cour ? A partir du XVIIIe siècle, ils compteront eux-mêmes de moins en moins, auprès des " marchands ", " négociants ", " rentiers " issus parmi eux, et quelquefois dans les maisons moins anciennes.Maintenant, les actes notariés préciseront si l'on est de " l'état de labeur ", dans lequel s'inclut le monde paysan, ou si l'on appartient à la classe seule noble et seule détentrice de l'autorité réelle désormais, celle qui possède non la terre, souvent peu étendue et peu productive, mais l'argent avec lequel on peut acquérir terres et métairies ; parmi ces dernières, on comptera à partir du XIXème siècle, quelques-unes des plus anciennes maisons de la Vallée. Nous sommes déjà bien loin du "maître", par lequel on désignait directement le chef de la maison, traduction pourtant affaiblie du "senor de la casa de..." en usage jusque vers 1640.La décadence probable des institutions communautaires, tout au moins leur relative inadaptation par suite de la rigidité naturelle de toute tradition dont nous avons mainte preuve, de son incapacité à assumer les nouvelles conditions humaines et économiques, laisse la place libre à la réforme administrative : c'est dans les conseils municipaux que s'exercera sans entraves, l'influence prépondérante des notables qui ont partout dirigé les affaires au XIXe siècle.Dans ce contexte neuf, la commune d'Ossès, avec ses six quartiers, se réorganise. L'adaptation ne va pas sans mal d'abord, dans les premières décades où les régimes se succèdent rapidement. Les guerres de la Révolution et de l'Empire ont réduit les restes de la fierté et de l'indépendance navarraises : telle supplique au Préfet Impérial, adressée par l'un des maîtres des anciennes maisons, qui s'efforce d'échapper à l'enrôlement dans l'armée napoléonienne, en est un indice. Les rivalités entre les habitants se résolvent dans des règlements de compte violents. Tout ceci pourrait indiquer une crise, consécutive à la disparition de l'autorité locale. *
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Dès que la situation paraît se stabiliser avec la Restauration d'abord, et davantage avec la Monarchie de Juillet, le Conseil Municipal tente de régler une fois pour toutes la question des " communaux " retrouvant partiellement l'esprit qui avait dicté le partage de 1769. (Cf. les documents annexes n° 3 et 4.) Le fait le plus intéressant se déroule le 7 août 1845. Le Maire et les Conseillers Municipaux sont au nombre de seize ; huit d'entre eux seulement savent écrire, comme l'attestent les signatures, au bas de la formule traditionnelle, " ceux des membres du Conseil qui savent écrire ont ci signé... "Le conseil, sous la direction de son maire, adresse une supplique au Préfet. En voici d'abord les considérants, qui rappellent la situation antérieure :" Considérant que le 13 mars 1769, la Vallée d'Ossès prit " une délibération pour partager dans les six hameaux qui " composent la commune les communaux (tauzins et fougeraies) le partage fut fait par acte notarié et enregistré au contrôle le 26 mars 1769." Le hameau d'Exave partagea le 6 janvier 1770 son communal à lui reconnu par le premier acte de la commune à chaque feu et maison d'Exave par acte notarié le 17 janvier 1770 et fut homologué en la Cour de Pau le 25 juin 1171. Quand le cadastre a été exécuté dernièrement à Ossès, les arpenteurs de ce cadastre ont au vu de l'acte notarié du 6 janvier 1770 compris à chaque maison d'Exave la contribution de son " communal "...En résumant ainsi la situation héritée du siècle précédent, le Conseil prouve d’une part sa parfaite connaissance de la question ; mais il explique aussi le motif de ce nouveau réveil : l'injustice ressentie à la suite de l'établissement d'un cadastre précis lorsque les six hameaux, ou quartiers se sont vus traités différemment, et le sentiment qu'Exave a obtenu un traitement très avantageux. L'acte initial et décisif était, à leurs yeux, non l'acte notarié du 6 janvier 1770, simple constat, mais celui de la Cour Générale du 13 mars 1769, pris en toute souveraineté, qui dessaisissait une fois pour toutes l'ensemble de la communauté au profit des quartiers. D'où la surprise du Conseil ; et son attitude prouve clairement qu'il ne se sentait, à cette date, nul pouvoir propre sur les communaux.Le texte se poursuit ainsi :" Les cinq hameaux, à savoir Horça, Ahaice, Iriberry-Ugarçan, Gahardou et Eyharce partagèrent également en 1770 " leurs communaux par maisons et feux, et les maisons en " ont joui depuis et en jouissent encore, et les cinq quartiers ci-dessus demandent que la contribution de leurs parcelles communales soit ajoutée et infuse à la contribution de leurs propriétés. "Faute d'un document officiel garantissant ce partage par feux, une des précédentes délibérations avait rappelé que " d'après le rapport des anciens de la commune, le même partage par feux eut lieu aussi dans les autres quartiers de la commune, mais que l'acte le constatant n'est plus au pouvoir de la commune, ou qu'il ne fut pas retenu, ou qu'il s'est " égaré ".C'est ainsi que ce qui ne fut qu'une précaution supplémentaire et somme toute formelle de la part d'Exave, se révéla d’une utilité imprévue dans le nouveau système d'administration.Le Conseil affirme ensuite, non sans quelque logique, que " cette demande des cinq quartiers est juste puisque le hameau d’Exave a déjà obtenu du cadastre à avoir son lot communal dans sa contribution ".Et voici la supplique : " En conséquence, le Conseil municipal délibère à l’unanimité des voix que la contribution du communal de chaque maison de ces cinq quartiers soit infuse et mise dans la contribution de leurs maisons, et supplie M. le Préfet d'en donner l'ordre à qui de droit pour cela ".Les recherches effectuées dans les archives départementales n'ont pas permis de trouver trace de la suite qui fut réservée à cette supplique. Très probablement, il n'y fut même pas répondu, malgré l'unanimité, assez remarquable, de la délibération.Sans doute, l'administration jugea-t-elle négligeable les vœux d'une si petite commune, et la question elle-même secondaire. On peut encore penser qu'il n'était pas dans la nature du régime politique de 1845 de prêter l'oreille aux revendications de cette sorte, quand il n'y avait pas un personnage en place assez important et assez connu pour sa fidélité à la monarchie louis-philipparde, extrêmement autoritaire et centralisée, sous ses dehors bourgeois rassurants. Rien en somme qui permit d'espérer la satisfaction d'une demande ou l'on pouvait déceler quelque vestige de l'ancienne autonomie navarraise.Il y a bien plus : le Conseil, en s'adressant au Préfet, avait été certainement mal inspiré. Les habitants d'Ossès pour qui le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire se confondaient autrefois dans les attributions de la Cour Générale, avaient-ils bien compris que désormais l'Administration était — en droit sinon toujours en fait — totalement séparée et indépendante de la Justice ? Il est raisonnable de croire que si la même démarche avait été engagée devant l'instance judiciaire compétente en la matière, la voix unanime des édiles de 1845 aurait eu plus de chances de succès, tant les antécédents juridiques constitués par le partage de 1769 et l'acte d'Exave en 1770 étaient contraignants en matière de droit. *
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La seconde moitié du siècle voit s'amorcer une nouvelle évolution. Dans ces péripéties, le Conseil ne fera pas preuve de la même fermeté ni de la même logique pour faire valoir les droits des habitants. Les temps d'ailleurs étaient encore moins favorables, le régime fort autoritaire, la commune elle-même en pleine décadence économique et démographique. Les chances de se faire entendre étaient en diminution pour Ossès, tout comme l'esprit d'autonomie et le réflexe d'autoconservation. En 1860, en plein Second Empire certains membres du Conseil, mus par de tous autres désirs que leurs aînés de 1845 et de 1769, songeaient à aliéner certains communaux. Nul, semble-t-il, ne se rendait bien compte de la contradiction fondamentale entre l'aliénation des anciens " communaux " et le pouvoir du Conseil pour ce faire d'une part, et les décisions du XVIIIe siècle qui leur avaient enlevé leur caractère et leur nature de communaux authentiques de l'autre.L'année suivante, dans une attitude tout à fait contradictoire, du moins en apparence, le Conseil décidait de faire payer aux habitants une taxe d'affermage et de pâturage sur leurs parcelles dites communales. Preuves suffisantes qu'à cette époque déjà, avait disparu le sens profond de la communauté qui avait réglé la vie dans la Vallée depuis les temps les plus reculés.Il ne serait d'ailleurs pas impossible de relier cette véritable démission de l'esprit collectif à un mouvement plus général qui a caractérisé tout le XIXe siècle, et que nous avons tâché de rappeler quand il s'est manifesté, dès la fin du XVIIIe siècle : c'est parallèlement à la croissance du pouvoir de l'argent, la décadence continuelle des zones rurales qui ne parviennent pas à suivre, dans ces provinces pauvres et difficiles d'accès, les nouveaux développements économiques et scientifiques.C'est pourquoi, dès les environs de 1830, les habitants d'Ossès se sont mis eux aussi en quête de nouvelles ressources : le capital est devenu nécessaire à la survie et à l'extension des exploitations, minées par la décadence rurale, autant que par les partages et les dots. Et l'argent seul désormais peut assurer la respectabilité : c'est l'émigration vers l'Amérique latine. Les domaines ancestraux seront parfois revitalisés par un cadet ou même par un chef de famille qui n'hésite pas à passer la mer, parfois aussi, et pour la même cause, définitivement abandonnés. Il n'est plus question de songer à tirer parti des communaux, qui n'y auraient sans doute pas suffi.A ce tableau négatif, on pourrait opposer un argument : n'est-ce pas à la fin du XIXe siècle que commence à se développer un certain intérêt pour la civilisation des Basques ? Cette époque voit naître, en effet, un folklore, très fortement appuyé d'abord sur les manifestations patronales et religieuses. Mais on ne voit pas en quoi ce mouvement intéresse les conditions de vie du peuple des campagnes. Il serait bien périlleux de prétendre que ces spectacles sont habités, à l'exception du jeu de pelote peut-être, et de quelques rares danses rustiques, par un véritable conscience culturelle. Songe-t-on assez qu'en pays basque, comme en d'autres provinces, l'image culturelle que ce folklore tout récent donne au peuple, si tant est qu'il ne se contente pas de le donner aux visiteurs et aux touristes, est d'une étonnante pauvreté ? Rien, ou presque, dans ces manifestations, qui remonte au delà de ce XIXe siècle lui-même. Il faudrait sans doute une entreprise plus vaste, fondée sur la connaissance de l'histoire et des œuvres originales et fortes qui ne manquent pas au répertoire, pour redonner aux Basques, tout au moins à ceux qui entendent le rester, leur culture, c'est-à-dire, la conscience de leur être et de leur devenir, perdue avec leurs institutions d'autrefois et le sens de la vie communautaire. Non qu'il ne subsiste absolument rien de cette conscience profonde : on la verra bien renaître de temps à autre, mais de plus en plus faiblement, comme va le montrer le dernier acte — le dernier qui se soit joué — de l'histoire des anciens communaux du pays d'Ossès.10. Par exemple, sous Louis XIII, le remplacement de l'espagnol par le français dans tous les actes officiels, notariés, etc..., qui mettait fin à une pratique vieille comme la Navarre elle-mêmeÝ11 entre 1723 "et 1726, il a fallu l’intervention du Conseil d’Etat pour régler le différend entre les habitants du quartier de Bidarray et la vallée d’OSSES sur le nombre des jurats de ce quartier. A la fin du siècle, Bidarray délibère à part (Voir Document n°1) Ý12 Voir l’article sur " la taille du quartier d’Ahaice en 1697 " et 1700 " (Bulletin du 2ème trimestre 1972 Ý*
* *LE XXéme SIECLE
Les Républiques ont remplacé la Monarchie et l'Empire, sans rien abandonner, bien au contraire, du principe centralisateur sur lequel s'était fondée la Première République. Le début du siècle est marqué, pour Ossès, par une nouvelle défaite : les quartiers d'Eyharce et d'Exave décident de se séparer des quatre autres, et ils forment la commune de Saint-Martin-d'Arrossa.Sur le plan juridique, toutes les tentatives du siècle précédent ayant échoué, le statut des communaux n'a en rien évolué depuis 1770. D'où la persistance de deux régimes différents suivant que l'on est dans l'ancien quartier d'Exave ou ailleurs. Dans les autres quartiers, chaque habitant paie un impôt de pacage, partiellement reversé au budget municipal, et proportionnel à l'étendue et à la qualité de ses terres dites " communales ". Situation qui résulte de la décision de 1861 et dont la régularité juridique n'est pas évidente. Exave, bien entendu, continue à bénéficier des avantages acquis en 1770.Un fait dominant va caractériser l'agriculture du XXe siècle dans sa seconde moitié pour toute cette région : les transformations des modes de culture et d'élevage réduisent progressivement l'utilité des landes et des pacages c'est-à-dire d'abord celle des anciens terrains communaux. Les fougeraies, appoint indispensable à l'élevage traditionnel, sont de moins en moins exploitées. On peut en prévoir l'abandon à peu près total à plus ou moins brève échéance, du jour où la modernisation du système d'élevage sera achevée. Les bois de tauzins ou autres, tout aussi nécessaires autrefois, se sont clairsemés à force d'être exploités ; on ne les a pas replantés, parce qu'on ne les utilise plus guère.Reste le pacage ; mais là encore, l'élevage du mouton est soit en régression, soit en mutation ; le pacage des bovins en liberté dans la montagne est appelé à disparaître sous peu, au profit de systèmes de pâturage plus rentables.Ainsi, par la force des choses, les anciens communaux se trouvent en voie d'être libérés et de toute exploitation et de toute servitude. Lorsqu'il s'agit de grands bois, protégés de cette manière, ce n'est pas un mal. Il en va autrement des landes peu boisées, qui forment la plus grande surface. Là une seule possibilité, et une seule rentabilité : le défrichage et la culture. Cette solution, adoptée pourtant en certains endroits — notamment par certaines communes du Labourd — pose des problèmes que personne, à Ossès, n'a encore voulu ou osé trancher. *
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Bien que les habitants puissent encore tirer profit des " communaux ", il arrive que ces surfaces inexploitées et apparemment libres pour qui ne sait rien de leur histoire, suscitent d'autres convoitises. C'est un fait bien connu que les années présentes sont particulièrement fertiles en faits de ce genre. Tout terrain inutilisé a désormais un acquéreur. La bienveillance des pouvoirs publics à l'égard des groupes financiers et industriels, capables de construire et de " mettre en valeur " sans appel au budget national, est souvent bien légitime ; en particulier lorsqu'il s'agit de création d'emplois, de logements ou de complexes touristiques, sans qu'il y ait dommage pour les habitants ayant des droits sur les espaces utilisés.Encore faut-il que les municipalités, à qui il appartient de se dessaisir ou de se saisir de leurs droits reconnus sur les terrains communaux authentiques, se soient assurées des intérêts de chacun. Faute de telles précautions, on a pu assister à quelques procès retentissants parce que le consentement des habitants pour renoncer au droit de regard ou de jouissance n'a pas été acquis, ou les nuisances, en particulier pour les porcheries, assez précisément calculées.Ossès n'a pas échappé au mouvement. II y a eu justement une tentative pour édifier une porcherie industrielle sur une partie des " communaux ". Elle s'est heurtée à une fin de non recevoir de la part des principaux intéressés, à qui il était demandé, à mots plus ou moins couverts il est vrai, de renoncer à leurs droits traditionnels sur ces terrains. L'espace retenu s'étendait au départ sur plusieurs dizaines d'hectares. Des parcelles importantes de pleine propriété, exploitées ou en voie de l'être, étaient menacées d'inclusion dans le périmètre exigé pour un édifice de ce genre.Ainsi s'est renouvelée, sans conséquence pratique d'ailleurs, l'erreur des édiles du XIXe siècle : celle de méconnaître le statut juridique très particulier de ces terrains sur lesquels la commune n'a aucun pouvoir, tout en bénéficiant en partie de la taxe de pacage instituée en 1861, cependant que les particuliers n'y ont pas tous les droits de propriété.Relevons une dernière curiosité, ignorée, semble-t-il, des auteurs de ce projet : il se trouve que l'une des parcelles comprises dans le périmètre prévu a fait l'objet d'un échange avec un terrain, de pleine propriété celui-ci, et appartenant, qui plus est, à un habitant de la commune voisine d'Irissarry. De telle sorte qu'une maison qui n'a jamais été d'Ossès, possède un " communal " de ce type à Ossès. Cet échange, bien connu des habitants et vieux d'un siècle à peu près, n'a jamais soulevé de difficultés. Encore fallait-il que celui qui procéda à l'échange de ce terrain s'en sentît pleinement propriétaire... Personne n'a songé à le contredire, ni lui, ni ses descendants : on n'était plus en 1743. *
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Telle est, dans ses grandes lignes, l'histoire des communaux d'Ossès depuis le XVIIIe siècle. A la différence d'Ossès, les deux " pays " voisins de Cize et de Baïgorry ont conservé le statut ancien des communaux. Les terres y sont toujours officiellement indivises ; d'où l'existence d'une commission syndicale composée d'élus municipaux eux-mêmes choisis par les municipalités des communes. Cette commission gère donc des terres dont la situation peut être compliquée dans le détail de telle ou telle parcelle ; mais, dans leur ensemble, ce sont bien, selon la définition de Littré, des " terres dont l'usage est commun aux habitants d'une commune ou de plusieurs communes ".En esquissant l'évolution d'une question aussi particulière que celle-ci et aussi peu reliée en apparence aux problèmes vitaux, il nous a semblé qu'il n'était pas sans intérêt de la mettre constamment en rapport avec l'évolution générale d'un groupe de population : celle des Basques de Basse-Navarre. Et nous avons noté que qui veut connaître et comprendre le passé pouvait, à bon droit, s'interroger sur l'avenir, et se demander en l'occurrence, quels progrès sont souhaitables afin que les " communaux " continuent à être, comme autrefois, un moyen d'améliorer le sort des habitants, à la seule condition que cette amélioration soit possible.Le mode de jouissance des communaux obéit de moins en moins aux nécessités anciennes. N'y-a-t-il pas cependant, mieux à faire que de supprimer les droits des habitants, en admettant d'ailleurs que cette opération soit juridiquement réalisable ? Le problème essentiel de toute agriculture moderne est la rentabilité : et celle-ci, en pays voué à l'élevage comme l'est le pays basque, est fonction des surfaces utiles. Rappelons en passant l'exiguïté des terres en Basse-Navarre ; elle explique en partie que cette région soit une de celles où l'économie rurale dans son ensemble, et malgré d'heureuses exceptions, ne progresse pas par rapport au contexte européen.Certes, on peut demander aux Basques, comme à d'autres, de continuer à se reconvertir, à s'expatrier, et à perdre rapidement toute conscience culturelle. Car la culture basque est à peu près exclusivement dans cette province tout au moins, une culture de la terre et de la vie pastorale et agricole, dans sa langue, son vocabulaire, sa poésie ; qu'on se rappelle le début de la chanson médiévale dite " Bereterretxen Kantoria ", l'une des plus anciennes.(13) Mais n'est-ce pas une absurdité, alors que tant d'autres, lassés de vie urbaine, aspirent au retour près de la terre ?(14)Nous avons relevé, dans un récent numéro d'un journal édité par un groupement coopératif, un plan de rénovation et d'amélioration de l'agriculture en pays basque ; on notait, en bonne place, la mise en valeur des communaux, auparavant cédés aux habitants, soit par la culture du maïs, soit par les prairies artificielles : remède qui ne coûterait rien à personne, sinon peut-être à l'amour-propre de quelques municipalités, quand elles possèdent encore un droit de gestion juridiquement fondé, ce qui ne paraît pas être le cas à Ossès.Sortant alors de l'histoire et préparant en quelque sorte l'avenir, peut-on imaginer les principales étapes de cette adaptation à l'époque moderne ? Dans un premier temps, les habitants pourraient exploiter leurs " communaux " à leur guise. Si des espaces restaient inexploités — de quelque manière qu'on entende ce terme — ils pourraient ensuite, après acceptation des habitants consultés par référendum, revenir au fonds commun, et être gérés par la Municipalité : ainsi serait augmenté le demi-hectare qui constitue à l'heure actuelle la totalité des terrains communaux d'Ossès. L'acte ainsi passé serait évidemment irréversible, sauf décision contraire adoptée par un nouveau référendum. II se pourrait aussi qu'il y eût à prévoir des aménagements, soit par renonciation de maisons non désireuses de cultiver, soit au contraire pour assurer des terres exploitables à ceux qui n'en seraient pas pourvus, de même pour le bois, etc... Ce serait le troisième temps. De toute manière, et pour décourager toute entreprise spéculative, priorité absolue devrait être accordée à la transformation en terres productives.Il faut peut-être envisager qu'il puisse s'élever, comme en 1743, quelque " esprit de passion et de jalousie". N'oublions pas, toutefois, qu'à cette date aucun partage n'était encore fait, et que le droit d'extirper était peut-être tombé en désuétude. Depuis le XVIIIe siècle, les habitants des divers quartiers ont l'habitude de leurs terres. La décision de 1770, prise par les habitants eux-mêmes, offre les meilleures garanties d'un excellent point de départ.Reste à savoir qui devrait décider du bien fondé de cette solution et donner aux cinq hameaux d'Ossès et de Saint-Martin les mêmes droits qu'à Exave, ceux de la pleine propriété. Ce ne serait pas là un acte purement administratif, comme le crut le Conseil de 1845 en s'adressant au Préfet. Une décision judiciaire pourrait seule apporter cette nouvelle et modeste modification au statut des " communaux ". On ne peut l'attendre que des tribunaux, saisis soit par un groupe d'habitants, soit par certains d'entre eux— nul n'étant, selon la loi, contraint à l'indivision — soit même par les élus municipaux, conscients des vrais problèmes que pose l'économie du pays basque.Une telle initiative serait avantageuse dans tous les sens : et d'abord conforme à l'esprit communautaire d'autrefois, bien oublié aujourd'hui puisque la population actuelle d'Ossès ignore tout ou presque de ses institutions de l'époque navarraise ; pourquoi négligerait-on d'autre part une chance de conserver à l'âge moderne les dimensions humaines qu'elle est menacée de perdre à tout instant ? Enfin, sur un point précis et limité, elle mettrait d'accord tant de discours officiels promettant la félicité aux populations rurales, et certaines revendications bien compréhensibles des groupes locaux les plus conscients et les plus avertis.13. " Haltzak ez dü bihotzik, ez gaztanberak hezurrik " : l'aulne n'a pas de cœur, ni le caillé de noyau. Ý14. Ce mouvement se perçoit d'autant mieux que le pays est plus industrialisé et urbanisé, comme aux Etats-Unis. Ý *
* *DOCUMENTS ANNEXES
N.B. — Pour des raisons pratiques évidentes, nous avons systématiquement modernisé l'orthographe et la ponctuation de ces textes.1 Délibération de l'Assemblée Générale, datée du 13 mars 1769, dressant procès-verbal du partage des communaux de la Vallée (à l'exclusion de ceux de Bidarray) entre les six quartiers de Horça, Iriberry, Gahardou, Ahaice, Eyharce et Exave.L'Assemblée est composée de soixante-cinq maîtres de maisons des six quartiers, en plus des Jurats de l'année et des députés choisis par chaque quartier qui avaient établi un premier procès-verbal le 7 mars.Extraits :" Ce jourd'huy treizième du mois de mars mil sept cent " soixante-neuf, en la vallée d'Ossès, quartier de Horça, et lieu " accoutumé pour tenir les Assemblées générales, se sont présentes les Sieurs (noms des Jurats, députés et soixante-cinq " maîtres)... tous manants(15) et habitants de la dite vallée, faisant tant pour eux que pour les autres maîtres des maisons, habitants de la dite vallée, à ce absents suivant l'ancien usage à ce pratiqué ; et les dits Jurats ont dit qu'en conséquence de la délibération arrêtée le vingt-trois janvier mil sept cent soixante-trois (...) ils ont procédé au partage des portions de communaux (...) et après avoir donné en différentes fois à cette opération toute l'attention souhaitable en a été dressé procès-verbal comme il suit :Ce jourd'huy septième mars mil sept cent soixante-neuf, en conséquence d'une délibération arrêtée le vingt-trois janvier mil sept cent soixante-trois ; Nous, Domingo Iriart jurât du hameau(16) de Gahardou, assisté de Joannes maître avantif (17) de la maison d'Etchebarne et Joannes maître ancien de " la maison de Monyo députés... ; Jean Belça maître avantif de la maison de Tarbe jurât de Horça assisté de Jean Pierre, maître de la maison d'Etcheverry et de Pierre maître de la maison d'Etchechoury députés du dit hameau de Horça ; Jean maître de la maison d'Iriart et Bety de la maison d'Urutibers jurats du hameau d'Iriberry, assistés de M. de Sainte-Marie,(18) écuyer, député nommé par les habitants du dit " hameau d'Iriberry, de Landaburu et Orpustan pareillement " députés du même lieu ; Jean, maître de la maison de Heguigorry jurât du hameau d'Ahaice, assisté de Jean maître de la maison de Mendicoague et de Domingo maître avantif de la maison de Baratchart députés du dit hameau d'Ahaice ; Jean maître de la maison d'Arroquy, jurât du dit lieu d'Eyarce, assisté de Jean, maître de la maison Gastorena et Pierre maître avantif de la maison de Trounday député du dit lieu d'Eyharce ; Pierre maître de la maison d'Iribarne jurât du hameau d'Exave, assisté de Pierre maître de la maison de Larrart député, subrogé par les habitants du dit hameau d'Exave au lieu et place de feu Ironbehère ci-devant député du lieu d'Exave ;Avons vérifié et examiné en différentes fois les communaux de la présente vallée d'Ossès, toute leur étendue et notamment toutes les parties d'icelles qui sont garnies de souches vives de tauzins ou autres arbustes, ou qui de leur nature sont propres à être plantés de bois, le tout mûrement considéré, ayant égard à la position des dits communaux, à leurs différentes qualités, à la bienséance et à toutes autres circonstances qui nous ont semblé devoir être mises en considération ; Nous, dits Jurats et députés sommes convenus de partager les dites parties des communaux qui nous ont paru susceptibles, hameau par hameau, en suivant les indications et confrontations ci-énoncées et comme y suit [...]."[Suit une délimitation très précise des parcelles attribuées à chaque hameau]." De quoi Nous, Jurats et députés, et désirant écarter les difficultés qui pourraient retarder ou arrêter les fruits et les avantages qu'on a lieu d'espérer, nous sommes convenus que les six communautés ci-dessus dénommées jouiront en indivis et chacun pour ce qui le regarde des lots qui leur sont échus par rapport aux bois seulement et non autrement, tant la propriété du dit terrain que les pâturages et autres usages demeurant toujours communs à tous les habitants de la présente vallée en général et en particulier, et sans nulle innovation [...] et sans que toutefois les possesseurs des dites terres à fougères ou autres usagers puissent sous aucun prétexte s'opposer à la division qui sera ou pourra être faite dans chacun des dits hameaux des communaux qui lui sont échus [...]. "15. Terme ancien, synonyme de " habitant ", signifiant " qui demeure à ". A ne pas confondre avec le sens médiéval de " vilain ", paysan. Il y a au moins un noble parmi ces " manants " comme on le verra. Ý16. Ce terme, très en vogue au XVIIIme siècle (c'est l'époque du célèbre hameau de Trianon), remplace celui de " quartier, qui a lui-même changé de sens pour devenir un synonyme de " lieu ". Ý17. Le maître " avantif " était celui qui n'était pas le descendant direct des maîtres " anciens " de la maison, mais, par exemple, leur gendre. Ý18. On notera le rang subalterne de l'unique noble de cette assemblée. Ý *
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II Acte notarié, signé de " d'Elgue, Notaire royal ", par lequel les représentants du hameau de Horça décident le partage par maisons et à la sauvegarde des bois par la désignation de " garde-forêts ", en date du 2 mars 1772.Extraits. :"L'en mil sept cent soixante-douze et le deuxième du mois de mars après midi, au quartier de Horça en Ossès, et dans la maison d'Etcheberry, le lieu usité pour traiter des affaires communes n'ayant pu être occupé à cause de la pluie actuelle, en Assemblée Générale, convoquée aux termes ordinaires et en pareil cas accoutumés, se sont présentés par devant moi, Notaire royal soussigné et témoins bas-nommés Pierre Bidart, maître avantif de la maison d'Elichondo de la communauté du dit Horça à défaut du Jurat d'Icelle et avec lui les maîtres des maisons [...] tous manants et habitants du présent lieu de Horça [...] tendant au partage famille par famille et feu par feu des communaux qui se trouvent garnis de chênes tauzins ou chênes blancs ou de petits arbrisseaux de la même nature, les mêmes députés ont dit qu'en exécution de la délibération et suivant les limitations portées par icelle, ils ont procédé au dit partage avec toute l'attention possible, ayant égard dans la fixation des lots particuliers à la nature et la situation du terrain et assigné à chacune des maisons actuellement existantes au présent lieu de Horça, qu'elles soient occupées par leurs propriétaires ou par leurs locataires ou même à présent vides, faute de locataires ou autrement, savoir aux grandes maisons un arpent et demi environ à chacune, et aux petites maisons un arpent ou environ, le tout supportant la taille ; les dits députés priant la dite Assemblée, qui a approuvé la dite distribution, de trouver bon que le présent rapport tienne lieu de procès-verbal, surtout que la présente Assemblée étant entrée en délibération, elle a approuvé le dit partage, aux clauses et conditions suivantes [...]...et enfin la présente Assemblée faisant comme dessus a arrêté que chacun des dits habitants vocaux sera tenu d'émonder les arbres tauzins de son lot assigné de quatre en quatre ans, par rapport à la conservation de la fougère, et de veiller à l'exécution de la présente délibération ; et pour en demander l'homologation là où il appartiendra, a nommé pour syndic le dit Baratchart dit Benejac, et le dit Etcheverry jeune, avec pouvoir aussi de se pourvoir là où il appartiendra contre les délinquants, d'écouter les habitants sur les difficultés qui pourront survenir sur les dits partages, d'y pourvoir par voie de conciliation et faire tout ce qui sera nécessaire pour le bien et l'arrangement dont il s'agit [...]." ...et à la réquisition de la dite Assemblée acte de tout ci-dessus a été retenu par moi Notaire royal et secrétaire du dit pays d'Ossès soussigné, en présence du Sieur d'Aissa-guerre, natif d'Andurein en Soûle demeurant au présent lieu en qualité de maître d'Etcheberry, et de Gratien Gachateguy fils, cadet de la maison de ce nom du lieu de Leispars en Baïgorry demeurant au présent lieu, témoins y appelés, desquels le premier a signé avec les dits Sieurs d'Elissalde, Sepe, Baratchart Bénéjac, Tarbe Beica, Gallena, Jaureguiberry, ce que les dits délibérants ni le dit Ansola syndic garde-forêt, seul présent de ses collègues n'ont fait pour ne le savoir... *
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III Délibération du Conseil Municipal du 10 mai 1822, présidée par le Maire, qui a convoqué aussi les dix habitants de la commune " les plus hauts imposés ". Conclusion :" En conséquence de toutes ces raisons, le Conseil Municipal délibère à l'unanimité des voix :1°) que les sommets de tous les coteaux ou montagnes d'Ossès resteront communs et indivis comme par le passé et que la surveillance en sera confiée aux gardes forestiers et champêtres déjà établis ;2°) que le bas des dits coteaux ou montagnes sera partagé par feux et par égales portions d'après la délibération du 6 septembre 1820, à laquelle le Conseil se maintient pour le reste des dispositions y contenues ;3°) que la présente délibération sera soumise par les soins de M. le Maire à l'approbation de M. le Préfet qui demeure prié de ce faire pour le grand intérêt de la commune d'Ossès [...] " *
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IV Délibération du Conseil Municipal du 2 mai 1839, en réponse aux tentatives des Eaux et Forêts de mettre en " défends "(19) 300 hectares sur le Baïgura." ... M. le Maire a dit qu'il avait déjà fait connaître non seulement aux conseillers municipaux, mais encore à toute la commune, l'exploit qui lui avait été notifié le 9 du dit mois d'avril par le Brigadier Garde-forestier [...] tendant à mettre en défends [...] en tout trois cents hectares; que la dite notification paraissant contrarier le pâturage des bestiaux gros et menus, que les habitants d'Ossès ne peuvent point nourrir sans la liberté de Baïgura, et sans lesquels ils ne peuvent point cultiver leurs terres, il eut recours, d'abord par lettre du 15 avril à M. le Sous-Préfet, en y joignant les copies de la dite notification, d'une délibération du Conseil Municipal du 20 juillet 1828 [...] et de l'arrêté spécial du 7 septembre 1828, pris par M. le Préfet Desselle en conséquence de la dite délibération." Qu'en effet la dite délibération établissait que la commune d'Ossès ne possédait point dans son enceinte de bois communaux défensables ; qu'il se fit le 13 mai 1769, (20) entre les six sections ou hameaux de la commune un partage des bois indivis, qui cessèrent ainsi d'être communaux ; que le pâturage libre de ses montagnes lui était absolument nécessaire [...] qu'en conséquence, le dit arrêté de M. le Préfet du 7 septembre 1828 soumit au régime forestier tout le dit bois de Seilharbourou ; (21) qu'à la vérité l'article 3 de cet arrêté porte que les communes pourront exercer le parcours dans les parties de leurs bois qui seraient déclarés défensables ; mais que cela n 'empêche pas les habitants de demander le sous-partage par ménage et par maison, des portions qui restent encore à sous-partager, après les sous-partages déjà faits et confirmés par la plus longue possession. non seulement pour mieux assurer le pâturage libre de leurs bestiaux et de leurs troupeaux dans leurs portions, mais encore dans la vue de pourvoir mieux à leur bois de chauffage et autres besoins par une meilleure garde et conservation de leurs lots particuliers, à quoi visait aussi, il y a longtemps, le Conseil Municipal.En conséquence, le dit Conseil, connaissant déjà la matière soumise à son examen et à sa délibération, a écouté encore les observations de plusieurs de ses membres, et après avoir réfléchi sur le tout. et étant uni par les mêmes motifs exposés par le Maire, a délibéré à l’unanimité des voix :" Article 1er. — Les bois communaux d'Ossès ayant été légalement partagés entre les six sections de la commune, par le dit acte du 13 mars 1769. et sous-partages aussi en grande partie entre les habitants devenus paisibles possesseurs particuliers depuis de longues années, ont cessé d'être communaux, et ne peuvent être soumis à l'administration forestière." Article 2. — Les portions des dits bois qui restent à " sous-partager, le seront à la diligence de M. le Maire, qui est autorisé à prendre les mesures convenables à cette fin, et à faire comprendre les nouveaux lots ainsi que les anciens dans le cadastre déjà commencée, comme propriétés particulières [...]." Article 4. — La présente délibération sera soumise à " l'approbation de M. le Préfet par les soins de M. le Maire, " lequel y joindra à son appui les copies des dites délibérations des 6 septembre 1820, 10 mai 1822, 14 mai 1823. " 6 mai 1825 et 20 juillet 1828 [...] ".19. Lieux dont on interdit l'accès aux bestiaux. Ý20. La notion de section de commune a été introduite par une loi de 1793.Ý21. Situé à Bidarray, mais dont les deux tiers appartiennent à Ossès.ÝJ.-B. ORPUSTAN - Agrégé de l’Université de Nice
